The Beatles, une histoire en 13 disques (chapitre 4)
Cadeau bonus d’un paquet de lessivés

Ringo:
Là, je crois qu’on touche un peu le fond. Lessivés, on est. Ce qui
est bien, c’est que personne ne semble s’en apercevoir. Pourtant, quand
on regarde attentivement la pochette de notre disque, moi,ça me parait
évident. On fait tous la gueule sur TOUTES les photos de la pochette, on
a les traits tirés, les cernes.
Le contenu du disque confirme ça: on a bourré le truc de 6 reprises de
la période Hambourg et Cavern, alors qu’on avait aligné que des compos
sur le disque précédent. Et même dans les compos, c’est pas vraiment ça:
il y en a une (« I follow the sun ») de Paul, mignonne comme tout, hein
?..mais qui date de 59, période « j’ai 15 ans et je débute avec ma
guitare ». Et y a d’autres qu’on a mis plus d’une semaine à faire
tourner, style « eight days a week » (encore une de mes expressions,
d’ailleurs). Je peux déjà plus l’entendre celle-là.
Faut dire qu’on a enregistré le LP avant et après notre deuxième
tournée américaine (de l’année), sans cesser de jouer partout et tout le
temps, et souvent plusieurs fois par jour.
Bon, moi je chante la mienne: « honey don’t », donc tout va bien.

George:
Trop de frénésie tue la frénésie. Les bonbons sur scène, ça commence à me gonfler grave.
L’autre soir, avec les Kinks et les High Numbers en première partie, on
pouvait à peine marcher sur scène, tellement ça collait. Sans compter
ceux qu’on se prend sur la gueule.
Le disque à peine sorti, on s’est retrouvé en tête de tous les
hit-parades de la planète, comme d’habitude, mais faudrait pas qu’on
tire trop sur la corde comme ça. Ils finiront par s’en rendre compte.
Moi, je dis: pour rester number one, faudra faire mieux par la suite. Beaucoup mieux.
Même si, je dois avouer que je suis quand même assez fier de ma version
de « Everybody’s Trying To Be My Baby ». Je pense que Carl n’aura pas trop
à en rougir.

Paul:
OK, je pense que c’est notre LP le moins accompli de tout ce que nous
avons fait jusque là (même nos singles pètent moins, je trouve) mais
Brian s’est montré intraitable: un album pour Noël, pas le choix.
D’ailleurs, le titre « à vendre », ne trompe personne.
Plus le temps de composer, de travailler. Va falloir, pour notre propre bien, qu’on reprenne vite le contrôle de tout ça.
Du coup, les idées qu’on a pas eu le temps de développer pour écrire, on
l’a mis dans la production. D’ailleurs, je crois que George Martin
commence à être agréablement surpris de nos propositions.
La fading en intro de « 8 days a week, ça n’avait jamais été fait avant,
right ? Et ce feedback de « I feel fine » (qu’on a sorti en single une
semaine avant le LP), ce serait pas non plus la première fois que ce son
est gravé sur un vinyle, peut-être ? Ha ha, d’une manière ou d’une
autre, on continue à marquer notre territoire. Même si là, c’est un peu
plus pour les puristes.
Mais va quand même falloir passer la vitesse supérieure: les petits jeunes qui nous entourent commencent à pousser fort.

John:
For sale ? Tu parles. Je commence à me demander si Brian ne nous
aurait pas un peu floué avec tous les contrats qu’il a signé en notre
nom depuis des mois. La confiance, c’est bien mais c’est quand même un
peu risqué. Nous, on court comme des bourricots aux quatre coins de la
planète, et on ne voit pas beaucoup de retombées sonnantes et
trébuchantes. Le pire, c’est que je me demande si c’est de la méchanceté
ou de l’incompétence de la part de Brian. Comment lui pourrait, plus
que nous, garder la tête froide dans ce tourbillon sans précédent ?
En tout cas, il a trouvé assez de temps pour écrire des mémoires. La
lecture de son bouquin (copieur, va!) laisse un goût un peu particulier.
J’ai peur que des gens suffisamment intelligents comprennent entre les
lignes un peu trop de choses sur lui et sa vie. Le garçon est beaucoup
plus fragile que vous pourriez le croire.
Notre rencontre avec Bob (Dylan) nous a fait beaucoup de bien. Moi, par exemple, j’ai commencé à extérioriser (un peu) des choses hypra-personnelles. Les filles en furie n’y prêteront peut-être pas attention, mais « I’m a loser », ça parle vraiment de moi. Enfin, la moitié de moi. L’autre continue à croire que je suis le bon dieu.
Et puis on tente des trucs. Ça faisait à peine plus d’un mois qu’on
avait fumé pour la première fois (Bob était persuadé qu’on était rompus à
l’herbe, vu qu’il croyait entendre « I get high » dans « I want to hold
your hand ». Ha ha) qu’on a commencé à placer des allusions passées
inaperçues, comme « turns me on when I get lonely », dans « She’s a woman ».
Personne n’a rien vu.
Non, nous, jusque là, nos expériences avec des substances illicites,
c’était surtout à Hambourg, avec les milliers de petites pilules qu’on
s’enfilait pour tenir debout. Du Drinamyl, du Preludin, et les
inhalateurs de Benzédrine si je me souviens bien.
A part ça, la folie devient la routine.
Quand les filles vont-elles se calmer ? J’imagine qu’il faut que je me
dise que le plus tard possible sera le mieux. Je sais pas. Je sais plus
grand chose. On est un peu au bout du rouleau.

Quand je sens que ma tête commence à enfler, je regarde Ringo – et je sais que nous ne sommes pas des surhommes !
John Lennon – The Beatles Anthology – 2000
